Dans le vaste univers de la spiritualité populaire, peu de pratiques sont aussi répandues et accessibles que le rituel d’amour avec du sel. Sur internet, dans les murmures de la tradition orale, le sel se pare de vertus quasi miraculeuses pour attirer ou consolider un sentiment amoureux. Sa simplicité fascine : un ingrédient du quotidien, quelques mots, une intention, et la promesse d’un cœur conquis.

Mais que cache réellement cette apparente facilité ? Si le sel est un puissant symbole universel, son usage touche à des mécanismes subtils que les traditions ancestrales manient avec une prudence infinie.

Nous avons voulu décrypter ce phénomène, en confrontant la croyance populaire à l’expertise des sciences occultes. Pour nous éclairer, nous avons interrogé Maître Loray Gwondé, praticien reconnu, Houngan du Vaudou haïtien et Onanya Joni (Homme de Sagesse) de tradition Shipibo-Conibo.

Le sel : symbole de pureté et d’éternité

Pourquoi le sel ? De toutes les substances, elle est sans doute la plus chargée symboliquement. Dans l’imaginaire collectif, le sel est avant tout un purificateur. Il nettoie, il assainit, il protège des influences négatives.

On le retrouve dans les rituels de protection du foyer, dessinant des barrières que le mal ne saurait franchir.

Cette pureté intrinsèque est souvent transposée au domaine amoureux. Le rituel d’amour avec du sel chercherait ainsi à « purifier » la relation, à la laver de toute négativité.

L’autre grande vertu du sel est la conservation. Il est ce qui empêche la corruption, ce qui rend la nourriture impérissable. Par analogie, un rituel d’amour au sel viserait à « conserver » l’amour, à le rendre durable, éternel, incorruptible. D’où les innombrables « recettes » que l’on trouve : une pincée de sel sous l’oreiller de l’être aimé, du gros sel mélangé à des herbes dans une bourse rouge, ou un cercle de sel tracé un soir de pleine lune.

Ces gestes, en apparence anodins, relèvent d’une magie que l’on pourrait qualifier de « sympathique » : l’acte imite l’intention. Mais est-ce si simple ?

L’avis de l’expert : le sel n’est pas un aimant

Lorsqu’on évoque ces pratiques avec Loray Gwondé, il oppose d’emblée une nuance fondamentale, déplaçant le regard du fantasme à la réalité énergétique.

Loray Gwondé : « Il faut sortir de l’idée que le sel est un « aimant » magique qui crée un sentiment à partir de rien. Dans les travaux occultes authentiques, le sel est avant tout connu comme un dérivateur ou un catalyseur. Il a une capacité phénoménale à absorber et à fixer les énergies ambiantes, qu’elles soient positives ou négatives.

Lorsqu’il est utilisé dans un rituel, son rôle premier n’est pas d' »attirer » l’amour, mais de nettoyer l’espace pour que l’intention puisse s’ancrer, ou de fixer une charge énergétique précise. Le sel ne crée rien, il est un support. C’est ce que je fais dans mes protocoles de retour affectif. »

Cette distinction est cruciale. Le sel n’agit pas de lui-même ; il est l’amplificateur d’une volonté. Et c’est là que le rituel, cru anodin, peut révéler son envers.

Quand la magie d’intention devient danger

Si le sel amplifie l’intention, que se passe-t-il lorsque l’intention est trouble ? Un rituel d’amour avec du sel, même s’il part d’un bon sentiment, frôle souvent une zone grise : celle de la manipulation.

Désirer être aimé est une chose ; vouloir forcer le libre arbitre d’une personne en est une autre. C’est le danger de ce que l’on nomme la « magie d’intention ».

Loray Gwondé : « À mon sens, il n’y a qu’une seule magie, et elle est magie d’intention. L’énergie en soi est une essence neutre, c’est l’intention du praticien qui la polarise. Utiliser un rituel pour tenter de contraindre la volonté d’autrui, même au nom de l’amour, c’est polariser cette énergie vers une forme de coercition.

Les traditions nous enseignent que toute énergie envoyée revient à son émetteur. C’est ce qu’on appelle trivialement le « choc en retour ». En cherchant à enchaîner l’autre, on risque surtout de s’enchaîner soi-même à une illusion, ou de recevoir en retour la frustration et la distorsion de cette intention initiale. »

Le simple rituel d’amour avec du sel, s’il est chargé d’une volonté de contrôle, devient alors un acte occulte qui peut s’avérer plus lourd de conséquences qu’on ne le pense, générant blocages et déséquilibres chez celui qui le pratique.

Au-delà du sel : le véritable « Travay » d’amour

Alors, faut-il bannir toute démarche spirituelle pour trouver l’amour ? Certainement pas. Mais les traditions authentiques nous invitent à renverser la perspective. Plutôt que de chercher à prendre, elles enseignent à devenir.

Dans le Vaudou haïtien, un véritable « Travay » (un travail occulte) pour l’amour ne commence jamais par l’autre.

Loray Gwondé : « Quand une personne vient voir un Houngan pour un problème d’amour, le travail ne consiste pas à jeter un sort à un tiers avec du sel et des bougies. Le véritable « Travay » est un dialogue profond avec les Lwa (les esprits) pour comprendre ce qui, chez le demandeur, bloque la venue de l’amour.

Le praticien va chercher à dénouer les nœuds – qu’ils soient énergétiques, psychogénéalogiques ou karmiques. Le but n’est pas de forcer une porte, mais de nettoyer la maison pour qu’un invité puisse avoir envie d’y entrer librement. Le travail vise à réaligner la personne avec sa propre puissance de séduction, sa propre capacité à aimer et à être aimée. C’est un travail de guérison et d’équilibre, pas de contrainte. »

Le rituel ultime : soi-même

Le rituel d’amour avec du sel, dans sa version populaire, est le miroir d’un désir profond : celui d’une solution immédiate à une souffrance intime.

L’expertise d’un praticien comme Loray Gwondé nous rappelle une vérité plus exigeante : la spiritualité authentique n’est pas un outil de contrôle du monde extérieur, mais un chemin de transformation intérieure.

Le véritable amour ne naît pas d’une pincée de sel déposée dans l’ombre, mais de la lumière que l’on cultive en soi. Le rituel le plus puissant pour attirer l’amour sera toujours de devenir soi-même une personne capable de le recevoir et de le donner en toute liberté.